La présente publication réunit des ressources pour les enseignements littéraires en classes de CP, CE1, CE2 et CM1 essentiellement. Elles prennent la forme de déroulés précis de séquences associés à des commentaires sur ce qui a marché comme sur ce qui a posé problème pour la formation des jeunes lecteur.rice.s de littérature. Il est ainsi possible d’adapter les propositions à des contextes différents.

Ces ressources ont été construites et testées pendant deux années de recherche collaborative (2019-21) réunissant une équipe de professeur.e.s expert.e.s (PEMF). Ils et elles ont cherché à diversifier les consignes et situations favorisant la compréhension fine et l’interprétation de textes littéraires de genres variés, l’album poético-fantastique, le roman policier, le conte, le récit d’aventures ou de voyages, le récit d’amitié, historique ou réaliste. Bien des commentaires apportent des informations. Les innovations expérimentées sont en résonance avec les orientations rectorales actuelles de l’académie de Poitiers qui mettent l’accent sur la circulation du dire/lire/écrire.

Le présent dossier est le fruit d’une recherche collaborative qui a rendu nécessaire la création d’une communauté de pratique professionnelle. Animée par une chercheuse et un chercheur universitaires, cette communauté s’est construite à travers des échanges réguliers, collectifs mais aussi interindividuels, dont la vertu consiste à croiser les regards sur les différentes expérimentations. Au cours de la collaboration, les expérimentateur.rice.s ont été associé.es à la construction de questionnements, la sélection de données, leurs analyses et à la présentation de résultats diffusables.

Des actualisations théoriques partagées
La collaboration entre les expérimentateur.rice.s a été rendue possible grâce à des éclaircissements théoriques apportés par les deux chercheur.se.s universitaires porteurs du projet de recherche collaborative. Ainsi l’équipe a pu parler le même langage d’une part pour définir les compétences spécifiques de la lecture littéraire et de l’écriture en lecteur; d’autre part pour identifier et distinguer certaines pratiques.

Nous avons convoqué les notions de compréhension et d’interprétation de textes littéraires. La première renvoie à l’idée de réunir différents éléments de sens d’un texte pour construire une représentation d’ensemble cohérente, le sens global. Le processus d’intégration et de réorganisation des sens locaux dans un sens global a été précisément décrit par la didacticienne Jocelyne Giasson dans La Compréhension en lecture (2007).

La notion d’interprétation est quant à elle envisagée comme l’entretien d’un effort pour interroger des significations possibles d’un texte au-delà de son sens. Il s’agit d’une « spéculation sur le pluriel du texte » (Falardeau, 2003) qu’il est possible et souhaitable d’entretenir chez les tout jeunes lecteurs. Cette spéculation s’exprime à travers différentes formes de jugements (sur des personnages, des situations, des formes littéraires ou encore sur des plaisirs et déplaisirs de lecteur.rice). L’effort interprétatif conduit aussi à exprimer des significations symboliques ou morales au-delà de ce que dit le texte littéraire.

Les compétences de compréhension et d’interprétation sont à envisager dans leur interdépendance ; c’est « le couple infernal comprendre-interpréter » (selon l’expression de la didacticienne Catherine Tauveron, 2001) qui a intéressé les expérimentateur.rice.s. ll est sans doute nécessaire de comprendre le sens global ou local pour interpréter ; mais réciproquement l’effort interprétatif d’un élève lecteur conduit à faire retour sur la compréhension, à en évaluer la cohérence, à la réguler.

Il faut préciser enfin que les travaux des didacticien.ne.s sur le sujet lecteur mettent l’accent sur « une interprétation guidée par les mouvements de la subjectivité » (Rouxel, 2013) : l’activation de processus émotionnels lors de la lecture impliquées, les jugements éthiques sur des personnages fictionnels ou encore des interrogations sur leurs états d’esprit.

Mais quelles activités permettent-elles d’accueillir des élèves interprètes dans la classe de littérature ? Des opérations langagières et cognitives liées à l’expérience de lecture et à l’effort interprétatif peuvent être entretenues à travers des activités orales et écrites associé.e.s dès lors qu’elles permettent un tâtonnement pour organiser les vécus subjectifs de la lecture impliquée et la confrontation aux lectures interprétatives d’autrui. Les définitions du débat interprétatif et des écritures de la réception ont donc complété les apports théoriques partagés par les professeur.e.s impliqué.e.s dans les expérimentations. Le débat interprétatif tel qu’il a été envisagé dans la recherche collaborative est issu des travaux de Catherine Tauveron (2004). Selon elle, le débat interprétatif traite la pluralité des interprétations : il est spéculatif et se distingue des débats résolvant des problèmes de compréhension (délibératifs). Les écritures de la réception sont « l’expression d’une lecture, la traduction volontaire ou prescrite […] d’une rencontre avec un texte » (Le Goff, 2020, p.240), quelle qu’en soit la forme. Les expérimentations dont le dossier rend compte suscitent une diversité d’écritures de la réception en articulation avec les temps d’échanges oraux entre des élèves lecteurs.

La méthodologie d’une collaboration

La collaboration entre les expérimentateur.rice.s a été grandement facilitée par Marlène Aït- Bouqdir, directrice de l’école élémentaire d’application Saint-Exupéry à Poitiers. Nous tenons à lui adresser nos vifs remerciements.

Comment et dans quels buts prendre en considération la diversité des paroles des lecteurs en formation? Afin d’explorer les différents enjeux d’une telle question, les personnes impliquées dans la recherche collaborative ont accepté de concevoir des enseignements littéraires à partir de trois principes didactiques consistant à ménager un ou plusieurs temps de négociation et de stabilisation de la compréhension globale, un ou plusieurs temps de confrontation des interprétations articulant l’oral et l’écrit.

Dans ce cadre assez souple, la collaboration a été entretenue grâce au partage des retours sur les différentes expérimentations, en particulier lors de réunions de synthèses régulières. Ce partage de propositions et d’analyses a abouti à une journée d’étude à l’INSPE de Poitiers, le 30 juin 2021 puis aux articles qui constituent le présent dossier.

La collaboration s’est appuyée sur des comparaisons progressivement enrichies entre les expériences diverses : les œuvres étudiées, les situations d’enseignement et leurs objectifs, les consignes, les modalités de travail (collectives /collaboratives), les manières d’articuler des activités de lecture, d’écriture et d’échanges oraux et enfin les verbalisations écrites ou orales de leurs lectures par des élèves. Ces mises en parallèle sont par elles-mêmes réflexives dans la mesure où elles impliquent l’extraction d’éléments comparables. Elles donnent lieu à des raisonnements de natures différentes : catégoriser (des consignes, des productions de lecteurs); identifier des variables (dé)favorables à la relance de l’effort interprétatif ; renouveler des questionnements pour de nouvelles expérimentations. Les comparaisons entre les niveaux d’enseignement, en particulier, ont conduit à réfléchir aux adaptations au cycle 2 de situations initialement pensées pour le cycle 3.

La réflexion entretenue par les comparaisons a aidé chaque expérimentateur.rice.à explorer des situations d’enseignement et des questions qui lui sont propres.

Présentation du dossier: ordre des contributions
Les contributions qui suivent proposent différentes articulations entre des temps d’échanges oraux et d’écriture au service de la réflexion des jeunes lecteurs.

Dans la première partie du dossier, trois articles développent des ressources complémentaires pour le cycle 21.

Sophie Dryja, dans un article intitulé « Expérimenter l’enseignement de la lecture-écriture littéraire au CP » explore l’interaction lecture-écriture dans le cadre de travaux en ateliers dirigés au CP. L’autrice en décrit les bénéfices pour les élèves tout en explorant les « gestes efficaces » de l’enseignante. Elle montre comment l’enseignante peut agir simultanément au plan de l’encodage-décodage et à celui de la compréhension-interprétation d’albums.

L’article de Florence Cointe, « Ce que l’on enseigne réellement dans les interactions entre élèves ? L’exemple d’un débat littéraire dans une classe de CE1 » revient sur les manières de faire parler les élèves en lecteurs. L’autrice s’intéresse aux échanges en groupe assez restreint pour favoriser la prise de parole de tous les élèves, particulièrement les plus discrets et qu’elle nomme les « petits parleurs ». Elle explore une « dramaturgie2» du débat interprétatif : la gestion de l’espace-classe, la délivrance de règles du débat, la recherche d’inducteurs de l’interprétation sont les leviers propices aux échanges littéraires. Les efforts de compréhension et d’interprétation des élèves trouvent un prolongement dans des écrits réflexifs individuels.

Muriel Chaignon examine sous un autre angle les manières de « Conduire des débats littéraires à partir des réactions des élèves au cycle 2 ». Ce titre annonce une réflexion sur le rôle des écritures des réactions des lecteurs avant des temps de débat et sur celui d’écritures inventives en aval des échanges oraux. L’article interroge « les conditions qui ont rendu possibles des interactions » et « les moyens qui permettent l’expression de réactions », en particulier les transcriptions par l’enseignante de paroles d’élèves qui surgissent après la lecture d’albums résistants.

Les deux articles réunis dans la seconde partie du dossier interrogent des modalités de développement des paroles et écrits en interprète de textes complexes au cycle 3.

L’article de Patrice Pouden, « Écrire en littérature au cycle 3 : quelques exemples pour travailler les compétences de lecteur ou de lectrice » compare trois genres d’écrits scolaires visant à entretenir la réflexion sur les textes: le tableau de suivi des personnages, l’écrit inventif long et le carnet de lecteur/lectrice. L’auteur montre comment l’écriture est « facilitée » par des discussions en classe et comment elle engage la compréhension-interprétation. Les temps d’écriture conduisent à « un retour sur soi qui engage à une lecture personnelle et autonome ».

L’article de Claire Carrin, « Passer du questionnaire au questionnement : la génération de questions par les élèves » s’intéresse à la production de questions sur le textes par les élèves en tant que manifestation privilégiée de l’effort interprétatif. L’autrice s’intéresse à l’élaboration d’écrits de lecteurs divers, en particulier sous forme de carte mentale à l’issue de discussions. Ces écrits gardent trace des échanges oraux et ont l’intérêt de rendre visibles des efforts de lecture littéraire en collaboration.


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